2017 - 2022 : le bilan sécuritaire du quinquennat
L'association "La Quadrature du Net" (1), qui lutte contre la censure et la surveillance et qui défend les libertés fondamentales dans l'environnement numérique, a publié le 3 février 2022 un rapport titré : "Emmanuel Macron, cinq années de surveillance et de censure". Et le moins que l'on puisse dire, c'est que la note est salée. Notre mémoire n'étant pas extensible, nous avons tous eu tendance à oublier l'empilement de lois et décrets qui ont accentué la censure et la surveillance en France.
Le bilan ci-dessous, loin d'être exhaustif, que dresse La Quadrature du Net nous montre une situation très inquiétante pour nos libertés publiques. En cinq ans, la France a hérité d'un titre peu enviable, celui de "".
Année 2017
> 14 mai 2017 : Emmanuel Macron commence son mandat de président de la République française.
> 22 septembre 2017 : invoquant une provocation au terrorisme, le ministère de l'Intérieur ordonne directement aux sites Indymedia Nantes et Grenoble le retrait d'un communiqué anti-autoritaire publié sur leur site sous peine de blocage par les fournisseurs d'accès à Internet (notre article ici). Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise donnera finalement raison .
> 30 octobre 2017 : promulgation de la loi "". Le texte intègre dans le droit commun plusieurs mesures de l'état d'urgence décidé depuis 2015 tout en prolongeant la durée de vie des "boîtes noires" de surveillance des télécommunications, ces sondes algorithmiques créées en 2015 pour surveiller automatiquement l'ensemble d'un réseau de télécommunications.
> 14 novembre 2017 : le gouvernement annonce avoir déployé une première "boîte noire" permettant la surveillance de masse des télécommunications ( ).
Année 2018
> 9 mars 2018 : , qui instaure une sélection de fait à l'entrée des études supérieures, et autorise les établissements supérieurs à recourir à des algorithmes pour trier les candidatures. Suite à une QPC de l'UNEF a laquelle La Quadrature s'est jointe, le Conseil constitutionnel a réinterprété en 2020 la loi pour mettre partiellement fin à l'opacité de ces algorithmes de tri ().
> 13 juillet 2018 : promulgation de la loi sur la "programmation militaire" (). L'agence de cyber sécurité du gouvernement (l'ANSSI) gagne de nouveaux pouvoirs de surveillance en pouvant ordonner à un hébergeur ou un fournisseur d'accès à Internet de poser sur le réseau des sondes lui permettant d'analyser tout le trafic pour détecter des attaques informatiques (la suite directe des boîtes noires instituées par la loi Renseignement de 2015). En février 2019, La Quadrature du Net attaque le décret d'application de cette loi devant le Conseil d'État ().
> 5 septembre 2018 : promulgation de la loi "". Son article 58 permet une expérimentation obligeant toute personne en recherche d'emploi à déclarer en ligne à Pôle Emploi "l'état d'avancement de leur recherche d'emploi" (sous peine de perdre le bénéfice de ses allocations). Lire .
> 11 septembre 2018 : promulgation de la "" relative à l'immigration, qui instaure un fichage forcé des empreintes digitales et des photos des migrants mineurs non-accompagnés. Suite à une QPC d'associations d'aide aux personnes migrantes, à laquelle La Quadrature s'est jointe, .
> 22 novembre 2018 : création du "" qui réunit, sous la présidence de Marc Darmon, vice-président de Thalès et en coopération avec l'État, l'ensemble des sociétés sécuritaires françaises.
> 22 décembre 2018 : promulgation de la loi "". En plus d'obligations générales de transparence pour certaines grandes plateformes, la loi crée une procédure d'urgence pour faire cesser une "fausse information" dans les trois mois précédant un scrutin national.
Année 2019
> 14 janvier 2019 : le ministère de l'intérieur, via l'office central de la lutte contre la criminalité informatique, exerce une censure et demande le d'une image caricaturant Emmanuel Macron en général Pinochet.
> 21 janvier 2019 : le jour même où la CNIL sanctionne Google à hauteur de 50 millions d'euros () à la suite d'une plainte collective portée par LQDN, le gouvernement fait la promotion de l'entreprise sur les réseaux sociaux ().
> 26 mars 2019 : adoption au Parlement européen de la directive Copyright (). Emmanuel Macron se félicite sur Twitter de l'adoption de ce texte qui légitime les outils de filtrage et de censure automatisés mise en place par les grandes plateformes Internet pour "protéger" le droit d'auteur ().
> 31 mars 2019 : Emmanuel Macron nomme Cédric O comme secrétaire d'État au numérique, , entreprise française d'armement, ayant notamment été la maison-mère d'Idemia, entreprise spécialisée dans la reconnaissance faciale.
> 13 mai 2019 : publication du décret "Alicem" qui autorise un dispositif d'identité numérique conditionnée à une reconnaissance faciale obligatoire, malgré l'avis négatif de la Cnil (). attaque ce décret devant le Conseil d'État mais perd le contentieux un an plus tard.
> 24 juillet 2019 : promulgation de la loi sur la "" qui autorise le lancement du "Health Data Hub". Il s'agit d'une plateforme visant à centraliser l'ensemble des données de santé de la population française pour faciliter leur utilisation à des fins de recherche, via l'utilisation massive d'algorithmes ().
> 24 octobre 2019 : Emmanuel Macron nomme Thierry Breton pour devenir commissaire à la Commission européenne Ancien PDG de la société Atos (), il sera en charge de pousser notamment en Europe la vision française de l'intelligence artificielle à travers plusieurs textes, notamment le règlement sur l'intelligence artificielle et le "Digital Services Act".
> 28 décembre 2019 : publication de la loi de finances 2020 (). Cette loi, validée par le Conseil constitutionnel, autorise l'administration fiscale et les douanes à surveiller les réseaux sociaux pour y collecter les informations et ensuite les faire analyser par leurs algorithmes.
Année 2020
> 30 janvier 2020 : signature d'un partenariat entre pour notamment financer la surveillance des prochains Jeux Olympiques de Paris en 2024.
> 20 février 2020 : publication du décret "Gendnotes" (). Ce décret autorise la police à utiliser une application mobile facilitant la collecte de photos et d'informations sensibles et leurs transferts vers des fichiers extérieurs (comme le TAJ, qui permet la reconnaissance faciale). Avec d'autres associations, nous attaquons ce texte et gagnons partiellement devant le Conseil d'État qui interdit le transfert des informations vers d'autres fichiers ().
> 29 mars 2020 : publication du , qui autorise le ministère de la justice à collecter les données personnelles issues de décisions de justice, pour développer un obscur algorithme de justice prédictive. mais le Conseil d'État a fin 2021. Début 2022, le ministère annonçait toutefois .
> 1er avril 2020 : déjà utilisés sur plusieurs manifestations, la police nationale déploie en toute illégalité des drones sur tout le territoire pour surveiller le respect du confinement. Nous réussissons à faire condamner la préfecture de Paris deux fois par le Conseil d'État, avant que la CNIL puis le Conseil Constitutionnel viennent interdire leur utilisation au gouvernement. Les drones reviendront néanmoins dans un nouveau texte en 2022 ().
> 9 avril 2020 : le ministère de l'Intérieur décide l'extension du décret de "système de contrôle automatisé" (ou ADOC pour "accès au dossier des contraventions). Permettant à l'origine la conservation des informations relatives aux délits routiers, le ministère de l'intérieur vient légaliser a posteriori l'extension de ce fichier à toutes les infractions réprimées par une amende forfaitaire avec une conservation étendue entre 5 et 10 ans. cette extension devant le Conseil d'État ().
> 11 mai 2020 : promulgation de la loi "". Ce texte accentue la surveillance sanitaire et permet au gouvernement de mettre en place un système de recensement et de traçage des personnes contaminées, à travers deux fichiers, le fichier SIDEP et le fichier Contact Covid.
> 29 mai 2020 : le gouvernement autorise par visant à pister, grâce au Bluetooth des téléphones des personnes l'ayant installée, les personnes ayant été infectées par le Covid ou susceptibles de l'être. Nous envoyons aux parlementaires nos arguments pour rejeter ce projet dystopique ().
> 24 juin 2020 : promulgation de . Alors qu'au départ, la proposition de loi (fortement soutenue par le gouvernement) voulait notamment imposer la censure en 24 heures pour les contenus "haineux" et en une heure pour les contenus "terroristes" ainsi que déléguer de grands pouvoirs de régulation au CSA (), le du texte pour n'en laisser que quelques dispositions mineures. Plusieurs dispositions se retrouveront néanmoins dans d'autres textes, le règlement européen de censure terroriste et la loi dite "Séparatisme".
> 6 juillet 2020 : nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l'intérieur. Après avoir accentué la surveillance par l'administration fiscale lorsqu'il était ministre de l'action et des comptes publics, son arrivée à Beauvau marque un serrage de vis sécuritaire supplémentaire.
> 30 juillet 2020 : promulgation de la loi "visant à protéger les victimes de violences conjugales" (). Son article 22 (anciennement article 11) impose aux sites qui hébergent des contenus pornographiques de recourir à des dispositifs de vérification d'âge (et donc d'identification forcée) pour empêcher que les mineurs y aient accès.
> 13 octobre 2020 : un révèle qu'en 2019, la police a utilisé plus de 375 000 fois à des fins de reconnaissance faciale le fichier du "Traitement des antécédents à des fins judiciaires". .
> 16 novembre 2020 : le ministère de l'Intérieur publie . Ce document dévoile les velléités sécuritaires pour les prochaines années pour faire passer la surveillance et le contrôle de la population par la police à une nouvelle ère technologique ().
> 2 décembre 2020 : publication de 3 décrets qui étendent et aggravent les fichiers PASP, GIPASP et EASP (). Ces fichiers facilitent le fichage massif des militantes et militants politiques et de leur entourage, en étendant cette surveillance aux réseaux sociaux, aux manifestations, et aux "opinions" politiques (non plus les seules "activités" politiques). La Quadrature du Net attaque devant le Conseil d'État en janvier 2021. En décembre 2021, le Conseil d'État relative notamment aux opinions politiques.
> 24 décembre 2020 : promulgation de la loi dite "petite loi Renseignement" (). Le gouvernement fait passer en urgence une loi pour prolonger les expérimentations de plusieurs mesures sécuritaires adoptées en 2017 (mesures renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme fermetures des lieux de culte, perquisitions administratives, etc.) et la prolongation de la surveillance des réseaux par algorithmes votées en 2015 (ou boîtes noires).
> 29 décembre 2020 : promulgation de la . Au détour d'un amendement n'ayant fait l'objet d'aucun débat, il est donné aux agents chargés de la fraude à Pôle Emploi la possibilité d'obtenir près des banques, fournisseurs d'énergie, opérateurs de téléphonie toute information nécessaire pour détecter des "situations frauduleuses". .
Année 2021
> 10 mars 2021 : publication du décret "Datakalab" qui autorise l'entreprise de surveillance Datakalab à déployer dans les transports en commun son logiciel de détection du port du masque. Un an auparavant, la Cnil avait pourtant critiqué le dispositif. ) souligne dans un article l'illégalité de ce texte que le ministre des transports a offert à la start-up ().
> mars-avril 2021 : dans le cadre de notre contentieux contre la surveillance de masse mise en place par les services de renseignement français, le gouvernement, mis au pied du mur par la Cour de l'Union européenne, demande au Conseil d'État de déroger au droit de l'Union européenne pour violer nos libertés fondamentales ().
> 29 avril 2021 : adoption au Parlement européen du (). Avec ce texte, dont par l'action du gouvernement français, l'ensemble des acteurs de l'Internet devront maintenant censurer en une heure un contenu qu'une autorité administrative (et non un juge) aura qualifié de "terroriste" sous peine de lourdes sanctions. Le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi Avia un an auparavant.
> 25 mai 2021 : promulgation de la loi "". Comme pour la loi Avia, le , à la suite d'un engagement et de la pression des militantes et militants, de nombreuses dispositions initialement prévues dans la proposition/projet de loi du gouvernement. Pas de drones ou d'hélicoptères de surveillance donc, mais une extension des pouvoirs de vidéosurveillance de la police, de la RATP/SNCF et la transmission en temps-réel des images des caméras-piétons de la police à un centre de commandement avec leur possible utilisation par des gardes-champêtres. Comme pour la loi Avia, plusieurs de ces dispositions reviendront rapidement dans d'autres textes.
> 31 mai 2021 : promulgation de la loi "". Ce texte, incarnant l'orientation autoritaire de la gestion de crise et le rejet de toute tentative de dialogue et de respect envers les personnes non-vaccinées met en place le passe sanitaire, qui sera officiellement lancé en juin 2021, puis étendu à de plus en plus de domaines par diverses réformes postérieures.
> 30 juillet 2021 : promulgation de la loi relative à . En plus de pérenniser et d'étendre les dispositifs de "boîtes noires" de surveillance des télécommunications, le texte confirme, malgré un arrêt contradictoire de la Cour de Justice de l'Union européenne, l'obligation de conservation généralisée des données de connexion. Il autorise par ailleurs la surveillance des communications satellitaires, facilite les échanges entre services de renseignement entre eux et avec d'autres services de l'État et intensifie les obligations de coopération avec les opérateurs et fournisseurs de communications électroniques ().
> 5 août 2021 : promulgation de à de nombreuses activités quotidiennes.
> 24 août 2021 : promulgation de la loi "séparatismes" (renommée loi ""). Parmi d'autres dispositions liberticides (notamment une version remaniée de l'article 24 de la loi "Sécurité Globale"), le texte donne de nouveaux pouvoirs à l'administration pour réguler les grandes plateformes et lutter contre les contenus dits "haineux" ().
> 26 octobre 2021 : promulgation de . Elle renforce les pouvoirs de l'administration (en fusionnant le CSA et la HADOPI dans une nouvelle autorité administrative dénommée "ARCOM") contre le libre partage des uvres audiovisuelles en lui donnant différents pouvoirs pour bloquer encore plus rapidement qu'avant un site internet qui lui paraît illégal ().
Année 2022
> 24 janvier 2022 : promulgation de la loi "responsabilité pénale et sécurité intérieure" qui, malgré les multiples censures du Conseil d'État, de la CNIL et du Conseil constitutionnel, autorise notamment la police nationale à déployer sur le territoire des drones de surveillance. La loi vient également valider la vidéosurveillance en cellule de garde-à-vue et les caméras embarquées sur les véhicules de police. .
En savoir plus
(1) La Quadrature du Net a été créée en 2008 et l'un de ses premiers combats fut contre la loi HADOPI. Depuis, le paysage dans lequel elle évolue s'est largement transformé. Il est marqué notamment par une accélération du durcissement sécuritaire et un resserrement de l'espace démocratique, mais aussi par la fuite en avant de l'informatique centralisée et technocratique.
et son .
Pour aider l'association La Quadrature du Net, pour que son immense travail puisse se poursuivre encore longtemps.