La France des festivals épinglée par la Cour des comptes
L'association France festivals s'est associée au CEPEL et au DEPS du ministère de la Culture pour réaliser en 2021 et 2022 une cartographie nationale des festivals (1). Et ce sont près de 7 300 festivals (4 fois plus qu'il y a 20 ans) qui ont été dénombrés. Certes, ils sont de taille et d'envergure très variées. De l'immense festival qui draine des milliers de spectateurs à la fête de village avec une démarche artistique ou culturelle, le choix est large.
Alors que l'Italie aligne 2 000 festivals, un millier en Allemagne et presqu'autant au Royaume-Uni, la France a su développer "un fait culturel" sans commune mesure avec ses pays voisins.
Dans son rapport public annuel 2023, qui porte sur "La performance de l'organisation territoriale française" (40 ans après les premières lois de décentralisation), la Cour des comptes consacre un chapitre entier aux festivals intitulé "".
L'enquête menée par la Cour des comptes examine à la loupe un échantillon de huit festivals de spectacle vivant :
1 Le festival mondial des théâtres de marionnette à Charleville-Mézières,
2 Le festival Passages à Metz,
3 Le festival Furies à Châlons-en-Champagne,
4 Le festival Musica à Strasbourg,
5 Les Francofolies de La Rochelle,
6 Le Festival d'Avignon,
7 Le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence,
8 Les Chorégies d'Orange.
Les services de l'État compétents (Direction générale de la création artistique-DGCA et Directions régionales des affaires culturelles-Drac) pour mettre en oeuvre la politique de l'État en faveur du spectacle vivant ont également été auditionnés par la Cour.
L'effort budgétaire de l'État porte sur 50 millions d'euros et concerne 593 festivals en 2021, soit 8 % de l'ensemble des événements. Il s'agit donc d'une aide très limitée concentrée sur les très grosses manifestations comme les festivals d'Aix-en-Provence et d'Avignon qui ont reçu à eux seuls plus du quart du financement du ministère de la Culture.
Ce sont donc les collectivités territoriales qui assurent la majeure partie du financement. La Cour des comptes l'estime à plus de 300 millions d'euros, soit un écart de 1 à 10 entre l'apport de l'Etat et celui des collectivités territoriales. Naturellement, ce sont les communes qui sont les plus gros financeurs (elles y ont un intérêt).
Un effort budgétaire qui reste très sous-estimé selon la Cour des comptes. Difficile en effet de chiffrer "les dépenses en nature, en particulier s'agissant de mises à disposition de locaux, de moyens techniques et de ressources humaines au bénéfice d'associations qui sont souvent animées par des bénévoles."
La Cour des comptes relève deux problèmes importants : la gouvernance partagée et la démocratisation culturelle.
1 La gouvernance partagée
La Cour estime qu'il est nécessaire de "moderniser et réformer la gouvernance des structures organisatrices afin de la rendre plus exigeante en matière de démocratisation des publics mieux concertée entre les services de l'État et les collectivités territoriales concernées".
Selon la Cour, le principe de compétence partagée qui régit la politique culturelle "ne trouve pas toujours à s'appliquer de façon harmonieuse dans la constitution et le fonctionnement de leurs structures de gouvernance. Les statuts qui régissent certains festivals, les modalités d'exercice partagé de la gouvernance ne semblent pas toujours clairement arbitrées".
2 La démocratisation culturelle
Les magistrats financiers de la rue Cambon invitent fermement le ministère de la Culture et les collectivités à "mesurer les effets des mesures prises par les festivals en matière de démocratisation des publics".
Cette annonce diplomatique cache mal une réalité difficile à contester : un festival comme celui d'Avignon, qui possède un budget de 13 millions d'euros (largement subventionné), reste l'apanage de catégories sociales avantagées, fortement diplômées, et majoritairement âgées de plus de 35 ans.
La même chose pour le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence (22 millions d'euros) qui ne cherche qu'à assurer le bonheur d'un entre-soi germanopratin, d'un public gentrifié dont l'élitisme est déploré par la Cour des comptes.
Cette dernière demande au ministère de la Culture de mieux quantifier l'effort réel consenti par les collectivités territoriales avec l'argent des contribuables locaux et de mesurer concrètement les retombées économiques que les festivals engendrent pour l'économie territoriale. Vaste programme...
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(1)