Lettre ouverte d'un président à un autre président

18-02-2019 ESS LIBRE
Le président de la fédération APAJH (Association pour Adultes et Jeunes Handicapés), M. Jean-Louis Garcia, a choisi d'adresser une lettre ouverte au président de la République. Cette fédération, connue pour oeuvrer au service des personnes en situation de handicap, gère plus de 600 établissements et services. On peut donc dire que l'homme sait de quoi il parle lorsqu'il s'adresse à M. Macron.

Cette lettre est un condensé de ce que de très nombreux français reprochent au président de la République actuel. Elle porte aussi les revendications de la majeur partie des associations. En cela, elle est plus qu'utile, elle est indispensable.

Nous reproduisons ici, cette lettre dans son intégralité. Ce que M. Jean-Louis Garcia écrit est le combat que nous menons depuis des années. Et certains de ses mots vont résonner étrangement, comme ceux-ci par exemple : "Elle organise [Madame Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées] une concertation sur l'école inclusive, mais dont on nous dit par avance qu'elle n'aura pas de traduction dans la Loi." Alors qu'un grand débat a été lancé sur toute la France, un tel comportement augure très mal de ce qui sera fait des contributions.

Depuis des dizaines d'années, l'APAJH, mouvement associatif né en 1962, invente, propose et gère des structures et services pour les personnes en situation de handicap, quel que soit le handicap, quel que soit leur âge. Lors de votre élection, vous avez marqué votre intérêt pour le handicap et nous nous en sommes félicités.

Depuis votre élection et la mise en place du gouvernement, vous avancez à marche forcée, sans vous préoccuper de l'avis des corps intermédiaires, sans prendre le soin d'associer à votre travail de réforme les citoyens organisés dans des associations - souvent depuis de nombreuses décennies - qui portent des revendications et mènent des combats justes au service de l'intérêt général et d'une société du vivre ensemble.

Le "Nouveau Monde" juge apparemment inutile d'accorder l'écoute attentive qu'ils méritent aux français qui expriment leurs attentes et avancent leurs solutions en respectant les formes du débat démocratique.

Vous avez érigé cette pratique en méthode de gouvernement et vous avez choisi d'ignorer les alertes de ceux qui, dans le monde politique, syndical ou associatif ont tenté de vous mettre en garde face au risque de rupture de notre société.

En tant que président de l'APAJH, 2ème organisation en France sur le champ du handicap, j'ai pu observer de près la singularité de votre méthode, appliquée avec zèle par les ministres que vous avez choisis. Vous ne voulez manifestement pas débattre avec les organisations représentatives mais visez d'abord les opérations de communication. Or comme le disait fort justement le philosophe Paul Ricoeur, ce qui caractérise la communication, c'est d'être unilatérale.

Il est plus simple et plus expéditif de répéter à l'envi que toutes les décisions prises sont bonnes, que l'ambition affichée est bien supérieure à celle de tous vos prédécesseurs. Il est plus simple de considérer vos interlocuteurs comme de simples auxiliaires, chargés de relayer votre communication sans analyse critique.

Plus simple peut-être, mais surtout si dangereux pour la démocratie. Cette méthode est insupportable et prépare des lendemains funestes pour notre pays.

L'APAJH a décidé de ne plus accepter cette méthode et de le faire savoir. De vous le faire savoir, monsieur le Président. L'APAJH est née de la volonté d'enseignants de trouver des solutions pour scolariser des enfants exclus de l'école du fait de leur handicap. Depuis, elle a été pionnière pour inventer des solutions et les mettre en œuvre, avant même que les pouvoirs publics ne s'emparent de cette problématique.

J'ai l'honneur de présider cette belle fédération depuis plus de dix années, durant lesquelles j'ai pu porter notre combat pour une école inclusive devant tous les ministres de l'Éducation nationale, sans exception, quelles que soient leurs orientations politiques.

Avec tous les ministres, de droite comme de gauche, nous avons été écoutés, entendus parfois, respectés toujours, dans une volonté commune de co-construction des politiques publiques au service des plus vulnérables.

C'est la première fois que je trouve porte close auprès d'un ministre de l'Education Nationale. Monsieur Blanquer n'a pas trouvé une heure en vingt mois pour recevoir le président d'une fédération accompagnant plus de 32 000 personnes en situation de handicap et représentant plus encore de familles, salariant plus de 14 000 collaborateurs.

Cela est d'autant plus consternant qu'il nous semble que le ministre en charge de l'Ecole mérite particulièrement d'entendre notre parole et nos propositions pour que chaque enfant en situation de handicap puisse être accueilli dignement, dans l'école de son quartier : en effet, sa grande loi "Pour une École de la confiance" ne mentionne pas une seule fois le handicap, à la stupéfaction des familles et des associations.

Et pourtant, cela n'a pas empêché votre majorité de repousser à l'Assemblée ces derniers mois deux propositions de loi issues de la droite et de la gauche, sans même en examiner sérieusement le contenu. Madame Cluzel, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées oublie parfois de répondre à nos courriers quand le contenu lui déplaît.

Elle organise une concertation sur l'école inclusive, mais dont on nous dit par avance qu'elle n'aura pas de traduction dans la Loi.

Une concertation qui n'implique qu'à la marge le ministère de l'Education nationale, et pour cause : au sein du cabinet du ministre, pas un seul conseiller ne s'occupe du handicap ! Une concertation où une fois de plus les associations représentatives des personnes en situation de handicap n'ont pas été reçues èsqualités. Une concertation pour rien ? Et pourtant, monsieur le Président, il y a tant à dire sur ces sujets.

Voilà ce que nous voudrions vous dire, si vous acceptiez de nous entendre : Une École de la confiance ne peut se faire sans former tous ses personnels, notamment enseignants, à la prise en compte du handicap dans l'école et dans la classe. L'ambition que vous affichez en la matière est très loin d'être à la hauteur. Une École de la confiance ne peut se concevoir en continuant à avoir des Accompagnants d'Élèves en Situation de Handicap (AESH) si mal payés, si précaires.

Nous demandons pour ces accompagnants, indispensables dans la chaîne de la compensation, des CDI à temps plein, des rémunérations décentes, une vraie formation diplômante et des perspectives de carrière attractives. Nous voulons que les enfants et leurs familles se voient attribuer leur AESH avant même la rentrée scolaire, pour en finir avec le scandale des élèves condamnés à observer leurs camarades enfiler leur sac à dos pour reprendre sans eux le chemin de l'école.

Une École de la confiance ne peut se construire alors qu'il manque plus de 3000 enseignants référents pour le suivi de la scolarité des élèves en situation de handicap, déjà trop peu formés. Dans certaines académies, un enseignant référent se retrouve parfois contraint à "suivre" 250 à 300 situations d'enfants.

Monsieur le Président, pensez-vous que dans de telles conditions, un appui personnalisé et effectif peut être fourni aux équipes éducatives et aux familles, tel que l'avait institué la loi si consensuelle du 11 février 2005 ? Une École de la confiance ne peut être érigée en s'attaquant aux fondements de la grande loi sur le handicap du 11 février 2005, portée par la secrétaire d'Etat de l'époque, Marie-Anne Montchamp.

Sous prétexte de simplification, argument avancé pour séduire les familles souvent critiques à juste titre sur les lenteurs des Commissions des droits et de l'autonomie des personnes en situation de handicap (CDAPH), vous vous apprêtez à prendre des décisions qui ne garantiront plus demain les mêmes droits pour tous, partout sur le territoire.

Pour éviter de poser la question des moyens des Maisons départementales des Personnes Handicapées, les projets personnalisés de scolarisation, par exemple, ne seront plus examinés par les commissions. Pour "rationaliser les moyens", vous envisagez de créer des Pôles Inclusifs d'Accompagnement Localisés à l'échelle d'une circonscription ou d'un réseau d'écoles, qui nous apparaissent comme une remise en cause de la scolarisation de chaque enfant dans l'école de son quartier.

Par souci d'économie, ce ne sera donc plus systématiquement à la CDAPH d'attribuer les aides dont les élèves ont besoin, mais à l'Inspecteur ou au chef d'établissement qui devra faire avec les moyens disponibles, quitte à contraindre l'élève à changer d'école ou à attribuer plus fréquemment une aide humaine mutualisée plutôt qu'individualisée. Une École de la confiance ne peut laisser à domicile, sans scolarisation, des milliers d'enfants au motif de la lourdeur de leur handicap et des accompagnements dont ils ont besoin au sein de l'école.

Enfin, une École de la confiance ne peut s'épanouir dans une société dont le gouvernement s'apprêterait à toucher à la loi de décembre 1905.

Cette loi constitue un socle inaliénable qui permet à l'École d'être à son tour le creuset de la République, qui élève chaque individu au-dessus de sa condition ou de son identité de naissance pour en faire un citoyen à part entière. Monsieur le Président, renoncez à toucher à cette grande loi car l'École sera touchée par les convulsions qui ne manqueront pas de traverser notre pays si vous vous obstinez dans cette voie.

Monsieur le Président, devant un millier de jeunes rassemblés le 7 février au gymnase d'Étang-surArroux en Saône-et-Loire, vous avez trouvé des mots justes pour parler du handicap et des vertus de l'inclusion scolaire pour tous les enfants, touchés ou non par le handicap. Des mots qui sonnent agréablement à l'oreille de militants comme ceux de l'APAJH, qui en ont fait le combat d'une vie.

Mais comme le disait Démosthène, tout discours est vain s'il n'incite à l'action. L'école inclusive ne se réalise pas sans volonté farouche et notamment par des efforts budgétaires pluriannuels.

Nous sommes prêts à vous accompagner si vous décidez de passer de la parole à l'action.

Respectueusement
Jean-Louis Garcia


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L"École de la confiance ? Lettre ouverte au Président de la République par Jean-Louis GARCIA, président de la Fédération APAJH, Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés



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